dimanche 23 octobre 2011

Critique Jim Morrison, Poète du Chaos, dans K-Libre (par Cédric Fabre)


Critique Jim Morrison, Poète du Chaos, dans K-Libre (novembre 2010). Un article signé Cédric Fabre.

Pour ceux qui n'arrivent pas à lire :

Un bar à whisky ou la mort...

Bien avant les punks les plus cramés, Sid Vicious ou Johnny Thunders en tête, Jim Morrison avait déjà mis en application le slogan "Too fast to live, too young to die". Une existence qui relève du roman noir, habilement narrée dans une bédé de Bertocchini et Jef.

Ses chansons, ses frasques, ses amours... : Jim Morrison a vécu sous le signe du feu. Il ne fut que fulgurances et flamboyances. Et si sombre, au fond. Anti-héros dostoïevskien, il était persuadé que pour construire, il fallait, au préalable, détruire...
Les auteurs ont choisi de camper l'ex-Doors à Paris, où il atterrit en 1971 pour fuir la justice américaine, et pour vivre enfin dans la ville des poètes maudits qu'il admire tant. Son "trip" parisien- autant que ses séjours au Maroc ou en Corse - est fait de jours ordinaires, routiniers, où l'apathie et le mal-être occupent tout l'espace. Bien loin des "strange days" presque gothiques de la chanson... Taciturne, alcoolique, aux répliques toujours plus cinglantes, il continue à entretenir une relation tumultueuse avec Pam, sa femme et muse, et qui pourrait se résumer ainsi : "Juste un verre, mon amour, demain, j'arrête...". Il adore les manifs - qui prolongent, au début des années 1970, les révoltes de Mai-68 - sans en comprendre les motifs ou les enjeux, mais qui portent, selon lui, cet air de chaos et de désordre.

Et il repense au passé, aux Doors. Tout avait commencé par la mort d'un Indien dans un accident de voiture. Jim, enfant, en sera marqué à jamais, persuadé que l'esprit du Shaman est alors entré en lui. "La mort fait de nous tous des anges", dira-t-il. Il sèche les cours, fréquente le bar où se retrouvent les vétérans de guerre, souvent bien amochés, lit les romantiques allemands, mixe Kerouac et Blake, et découvre l'écriture automatique des Surréalistes. Un homme sous influence, possédé/dépossédé, qui se laisse convaincre par Ray Manzarek de monter un groupe. Puis viennent les débuts au Whiskey A Go-Go, la signature d'un contrat avec Elektra, l'énorme succès de Light My Fire, et l'enchaînement de concerts sauvages et outranciers, d'albums plus magiques et grandioses les uns que les autres. Jim Morrison a adoré la scène : "J'ai toujours dit que j'étais un pitre. Mais un pitre de qualité...".

L'ouvrage ne s'y trompe pas : la vie de Morrison, c'est l'histoire d'un huis-clos. Entre un homme et ses multiples personnalités : lézard, shaman, rock-star... Ici, ses escapades sexuelles ne balisent pas son parcours, comme dans de nombreuses et triviales biographies. Ont été évincées aussi les anecdotes scandaleuses et racoleuses. Et cette bio émouvante suit un parti pris subtil, qui a le bon goût de ne pas épiloguer sur le mystère de sa mort à Paris, en juillet 1971. La bédé s'appuie sur un noir et blanc assez culotté - flouté, cendré et brumeux, aux contours pas toujours nets - vu que l'univers des Doors fut nourri de couleurs psychédéliques, celles d'une foire aux freaks. L'idée est pertinente, puisqu'elle ramène le roi-lézard à sa dimension tragique, sinon épique.

On est surtout séduit quand on a la faiblesse de penser que les Doors demeurent - allez, on y va au culot... - l'un des groupes les plus passionnants des années 1960. Car fondus dans un alliage improbable : un guitariste de flamenco, un organiste qui officiait dans les églises, un batteur jazz, et un chanteur poète à la voix profonde, qui se fout pas mal du genre musical, pour qui seuls les textes comptent. Et qui nous aura asséné une vérité qui ne se dément pas à travers le temps : People Are Strange.

Citation

J'ai toujours dit que j'étais un pitre. Mais un pitre de qualité...

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