dimanche 23 octobre 2011
L'invitation de Babelio
Aujourd'hui, j'ai eu l'honneur d'être invité par Babelio, afin de répondre aux questions (très pertinentes) des lecteurs. C'est un honneur pour moi d'avoir répondu à cette invitation. Je remercie par ailleurs toutes celles et tous ceux qui ont participé à cette rencontre, ainsi qu'au rédacteur en chef de Babelio, très sympathique. Voici l'interview.
1. Quel est le livre qui vous a donné envie d'écrire ?
Enfant déjà, je lisais énormément. Je suis passé par toutes les phases, bibliothèque rose, puis verte, puis adulte. Je me souviens que j'étais fasciné par « L'Auberge de l'ange gardien »de la Comtesse de Ségur. Ca vient peut-être de là... Je lisais énormément de BD aussi. Hergé, Franquin, Roba, Peyo. Mais aussi les comics, Strange, les Marvels... Les grands classiques... Je me souviens qu'à l'époque - je devais avoir dix ans - il fallait que j'écrive tout : mes vacances, mes journées à l'école, etc... C'est fort logiquement qu'après mon baccalauréat, je me sois dirigé vers des études de Lettres, avant de bifurquer vers l'Histoire Ancienne pour ma thèse.
2. Quel est l'auteur qui vous a donné envie d'arrêter d'écrire (par ses qualités exceptionnelles...)
Si je devais choisir une lecture qui a fait office de véritable déclic, je dirais que ce sont les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau, que j'ai découvert à dix-sept ans. J'étais assez solitaire à l'époque (et même encore un peu aujourd'hui), et j'ai été très touché par la prose à la fois classique et romantique de Rousseau. Ceci étant, il s'agit d'un écrivain gigantesque à mes yeux. Je n'ai jamais imaginé pourvoir écrire un jour comme lui (rires). L'envie d'écrire des scénarii de bandes dessinées est arrivée sur le tard, il y a quelques années seulement, vers trente ans. Je crois que les œuvres de Charlier et Van Hamme sont des modèles pour moi, même si mon style est très différent. Si je pouvais avoir la moitié de leur talent, je m'en contenterais...
3. Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Comme je le disais, Les Rêveries du promeneur solitaire. J'ai tellement lu ce bouquin que je connais des passages entiers par cœur. Je sais bien que Rousseau n'est pas apprécié par les jeunes lecteurs. En général, on n'aime pas vraiment sa personnalité et ce qu'il représente. Mais j'ai adoré sa façon de se mettre à nu, et de jouer avec le lecteur. D'autre part, concernant le style et la qualité d'écriture, à mes yeux, il n'y a pas d'équivalent en langue française.
4. Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Je lis et relis souvent les œuvres que j'aime. J'ai l'impression que je découvre quelque chose de nouveau à chaque lecture. Cette question est difficile... Je pense qu'il s'agit sans doute d'une bande dessinée. Enfant, je dévorais les Tintinet les Spirou. J'ai dû lire chaque album de Tintin au moins 100 fois. Oui... en y réfléchissant, c'est sans doute Hergé que j'ai le plus lu dans ma vie. Pour le reste, la littérature traditionnelle, j'en reviendrai encore une fois à Rousseau. Quoi que... J'ai travaillé sur Thucydide (un historien athénien du 5ème siècle avant notre ère) pour ma thèse. C'est un registre tout à fait différent, mais « L'Histoire de la guerre du Péloponnèse » est une œuvre magistrale que j'ai dû parcourir des dizaines de fois.
5. Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
La bible. Je l'ai commencé bien des fois, mais je ne suis jamais allé au bout. Je le regrette vraiment...
6. Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
J'adore La Ferme des Animaux de George Orwell ! Mais cette œuvre est tout de même très connue. En fait, je n'ai pas l'impression que connaître des chefs-d'œuvre méconnus.
7. Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Les œuvres de Voltaire en règle générale. Au siècle des Lumières, il était célèbre pour sa poésie, son théâtre. Aujourd'hui, avec deux siècles de recul, on se rend bien compte qu'il n'avait pas le talent qu'on lui reconnaissait à l'époque. A contrario, Diderot qui était déprécié et recalé au rang de simple« rédacteur » de l'Encyclopédie, est de plus en plus considéré comme un écrivain génial. Il faut toujours un temps de gestation pour déterminer qui est un génie de l'écriture ou non. Et encore, tout cela est très subjectif. Après, c'est aussi une question de goût.
8. Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« Je sentis avant de penser »... de Rousseau bien sûr... J'adore aussi les « il était une fois » des contes pour enfants. Ca vient de très loin. Au Moyen-Age, on disait déjà : « Il avint ja ». Comme quoi, les hommes ont toujours aimé qu'on vienne titiller leur imagination.
9. Et en ce moment que lisez-vous ?
Je lis énormément de bande dessinée, dans le cadre de mon travail (je chronique des albums dans la presse écrite ou radio). Je dois en lire sept ou huit par semaine. Sinon, actuellement, je travaille sur un bouquin d'histoire sur les 360 communes de Corse. Donc je lis pas mal d'ouvrages sur les contes et légendes de Corse, et l'histoire - au sens scientifique du terme - de cette île extraordinaire. Et je ne dis pas ça parce que c'est mon pays (rires). L'histoire de la Corse est d'une richesse exceptionnelle et demeure tout à fait passionnante. Dommage qu'elle soit si méconnue. C'est peut-être aussi pour ça qu'il existe quelquefois quelques incompréhensions entre les insulaires et les continentaux.
10. Comment s'est opérée la rencontre avec Jef et d'où est venu ce projet commun de bande dessinée sur Jim Morrison ?
Un pur hasard. Au début, j'avais monté le projet avec un dessinateur américain qui, en plus, jouait et chantait du blues. Pour moi, c'était l'homme idéal pour ce projet. Emmanuel Proust a été séduit par notre dossier, mais après quelques pages, il trouvait que le dessin de Mike n'était pas assez moderne pour son catalogue. Il a donc contacté Jef, qui venait de sortir Une Balle dans la tête, et lui a proposé de lire le script. Quelques jours après, Jef m'a appelé pour que m'expliquer son intérêt pour le projet. C'est comme ça que l'histoire a commencé...
11. Avez-vous essayé d'être le plus fidèle possible dans la retranscription des éléments biographiques de la vie de Jim Morrison ou certains passages sont-ils fictionnels ?
Ayant une formation d'historien, c'est sûr que le souci du réalisme historique est très important pour moi. Je ne me suis pas lancé sur ce script sans avoir réalisé un grand travail préparatoire au préalable. J'ai lu les œuvres biographiques majeures : Jerry Hopkins, Danny Sugerman, Stephen Davis... J'ai sélectionné des séquences et fait un tri. Au départ, j'avais prévu de faire deux albums, mais l'éditeur a préféré un seul volume, de 120 pages. Il fallait à la fois proposer une œuvre fidèle de la vie de Jim Morrison, tout en proposant quelque chose d'assez novateur. C'est pour ça que j'ai largement développé l'enfance de Jim. Ca représente presque la moitié de l'œuvre, tandis qu'au cinéma, Olivier Stone commence son récit lorsque Morrison a 20 ans. Maintenant, pour s'approcher de Jim, pénétrer dans son intimité, j'ai dû laisser une petite place à la fiction. Mais toutes les séquences, toutes les scènes, ont réellement existé.
12. Jim Morrison et les Doors ont été filmés lors de leurs nombreux concerts. Mais d'autres scènes n'ont jamais enregistrées (quand Morrison chante ‘Moonlight Drive' sur la plage pour la première fois ; les adieux avant le départ pour l'Europe), mais ont été illustrées par Oliver Stone dans son film The Doors. Ce film a-t-il influencé l'écriture du scénario et, si oui, dans quelle mesure ?
C'est vrai que cette séquence où Jim chante sur la plage avec Ray Manzarek n'a jamais été filmé. Toutefois, je n'ai pas été inspiré du film. Cette séquence a été écrite, et réécrite, des dizaines de fois par les biographes qui ont travaillé sur Morrison (Jerry Hopkins et Danny Sugerman notamment). Oliver Stone n'a rien inventé. Disons que je suis simplement passé sur les mêmes chemins que lui. C'est un moment essentiel de la vie de Jim Morrison, même si cette séquence a été filmée par Oliver Stone, nous ne pouvions pas passer au travers. C'est là que tout commence : lorsque Ray Manzarek se rend compte de l'énorme talent de Jim Morrison.
13. Vous montrez dans la bande dessinée que Jim Morrison était un personnage multiple. Quelle le période ou la facette du personnage que vous appréciez le plus ?
C'est le poète qui m'intéresse le plus. Mais le philosophe aussi. J'aime la façon dont Jim avait de « jouer » avec le public, de l'instrumentaliser. A l'UCLA, il avait étudié une matière qui s'appelait « la psychologie des foules ».Quand on connaît son parcours, quelque part, on se dit qu'il était avant tout curieux. Ensuite, la qualité de son écriture est sans doute ce qui fait de lui l'icône que l'on connaît aujourd'hui. Sans talent, on ne peut pas durer dans le temps. Son coté théâtral est aussi tout à fait fascinant. J'ai beaucoup étudié le théâtre grec, Sophocle, Eschylle. Jim Morrison avait tout compris à la tragédie grecque au sens le plus noir du terme. Il était un acteur avant tout. Lorsqu'il chante la version oedipienne de The end en concert, la plupart du temps, il se met la main devant les yeux. Cela signifie : « j'ai pris un masque, et là, à ce moment précis, je suis dans la plus pure tragédie. Je ne suis plus Jim, je suis le comédien ». Les Grecs ne jouaient presque jamais à visage découvert. Cette fascination pour les mondes anciens, et en particulier que la Grèce Antique, m'a toujours intrigué.
14. Pourquoi le choix du noir et blanc sur cette histoire ?
Parce que nous voulions vraiment montrer le coté noir du personnage. Ses douleurs, ses angoisses, sa détresse. Le choix dugraphic novel convient aussi parfaitement, et sur ce point, Emmanuel (Proust) a vu juste. La première version du projet comptait plus de cases par page. Nous avions également envisagé de mettre de la couleur, avant d'y renoncer complètement.
15. Vous avez également réalisé une biographie d'Alexandre Le Grand. Qu'est-ce qui vous intéresse principalement dans les personnages auxquels vous choisissez de dédier un ouvrage ?
Je n'ai pas tout à fait réalisé une biographique d'Alexandre Le Grand. J'ai participé à la rédaction d'un dictionnaire sur ce personnage. J'ai écris tous les articles ayant un lien avec la mer : les amiraux d'Alexandre, ses flottes, flotilles, les batailles navales, les navires, les chantiers, toutes les mers traversées, ainsi que les fleuves, les ponts, etc... Mais le siècle hellénistique n'est pas mon siècle. Je suis plutôt spécialise du siècle classique, le 5ème siècle. Le « grand » siècle de Périclès. Mais c'est vrai que travailler sur un personnage m'a toujours plu. J'ai réalisé une trilogie BD sur un héros de la révolution corse, Pasquale Paoli. Là je travaille sur un autre personnage culte, Sampiero Corso. Il y a quelques années, j'avais réalisé un script sur Alcibiade, mais ce projet n'a jamais vu le jour. Ce que j'aime, ce sont les fortes personnalités, les destins cassés, les brisures. La période importe peu, Alcibiade, Rousseau, Jim Morrison, Pasquale Paoli, tous ces personnages appartiennent à des siècles et des univers différents. Mais ce sont tous des génies à mes yeux. Il y a donc une fascination, mais jamais de fanatisme. C'est-à-dire que j'aime travailler sur les personnages, tout en étant conscient de leurs failles et de leurs défauts. Ils m'intéressent, me fascinent, mais ne m'empêchent pas de dormir (rires).
16. Quels sont vos prochains projets ? Pensez-vous renouveler une expérience similaire avec d'autres artistes ?
Je viens de sortir trois nouveaux albums ces jours derniers, chez DCL, un éditeur corse. Le Bagne de la Honte, avec Eric Rückstühl, qui raconte l'histoire véritable d'enfants déportés en Corse sous Napoléon III, et jetés dans un bagne. Presque 300 d'eutre eux sont décédés en moins de 10 ans. C'est un récit réaliste, dramatique, historique presque. Je viens également de réaliser Histoires corses qui est un album collectif auquel ont participé plusieurs dessinateurs connus, comme Marko, Federzoni, Plisson, Espinosa, Luciani ou Rückstühl. Ce sont des récits de 5 à 10 pages, racontant un fait historique, ou une vieille légende insulaire. Nous aussi, en Corse, avons une« mythologie » de grande qualité. Sinon, plusieurs projets vont voir le jour très prochainement, Le Horlaavec Eric Puech. Il s'agit d'une adaptation BD de l'œuvre magistrale de Maupassant. La sortie nationale est prévue avant la fin de l'année. Mais aussi Kirsten avec Marko, une adaptation libre et personnelle du conte d'Andersen, LaPetite Fille aux Allumettes. Je bosse également sur une trilogie qui s'appelle Libera Me, un thriller politique dessiné par Michel Espinosa et co-scénarisé avec mon ami irlandais. C'est un projet qui nous tient à cœur. Nous sommes entrés dans les sphères révolutionnaires corses et irlandaises du début des années 80. Destin croisé d'un membre du FLNC et un autre de l'IRA. Le premier tome sera en librairie avant la fin de l'année.
17. Quel est votre sentiment devant l'émergence de la bande dessinée numérique ?
Je suis sceptique. Peut-être parce que j'aime trop les livres. J'aime « sentir » les vieux Tintin, l'odeur des vieilles publications, tourner les pages des livres que j'aime. Il faut vraiment que je sente l'œuvre entre mes mains. Je la sens presque respirer... Et quand j'aime vraiment un bouquin, je n'aime pas le prêter. Avec la BD numérique, il n'y a pas ce lien charnel que l'on peut avoir avec le livre. Je pense que ce sentiment est partagé par les grands lecteurs. Mais malheureusement, je pense que le numérique va s'imposer sur le marché au fil des années. Il va bien falloir s'y faire...
Merci à Babelio ;-)
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